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5 Septembre 2022
Étranger, qui que tu sois, ouvre ceci et tu apprendras des choses stupéfiantes.
Une chronique de Richard
Les bandeaux rouges qui ornent les nouveautés sont souvent de la poudre aux yeux pour épater la galerie, attirer les regards et nous amener à acheter un livre ; car c’est le livre de votre vie ou encore, que ce livre est le meilleur jamais écrit et que plus rien ne sera publié de meilleur. Ah oui, j’allais oublier les fameux blurbs, ces phrases chocs dites par un autre auteur pour vanter le livre qu’il a peut-être lu ... ou pas. Je ne sais pas vous, mais moi, ça ne m’inspire pas confiance. Je ne crois pas sur parole !
Alors, le dernier roman d’Anthony Doerr, La cité des nuages et des oiseaux est donc orné de ce fameux bandeau rouge avec rien de moins que le mot : « Chef d’œuvre » ! Nouveau roman après l’immense succès de « Toute la lumière que nous ne pouvons voir », prix Pulitzer 2015, voulait-on cacher derrière ce bandeau, un roman de moindre qualité ? Eh bien, la réponse est NON ! Ce roman d’Anthony Doerr est tout simplement génial et le titre de chef-d’œuvre me semble, selon moi, bien mérité.
Voilà donc la partie facile de faite dans ma chronique ; maintenant, la partie la plus difficile, essayer de résumer ce roman de presque 770 pages, foisonnant, touffu, avec une galerie de personnages impressionnante et qui se passe sur plusieurs époques. Sans oublier que dans ces époques et ces personnages, trône au centre de toutes ces histoires, un livre dans un livre !!!
À moi de démêler tout cela ! Procédons par ordre chronologique.
Omeir, avec ses deux boeufs … aux portes de Constantinople pour attaquer la ville avec le sultan Mehmed II … en 1453. Ils ont transporté un énorme canon. Omeir a un visage un peu difforme à cause d’une fente qui coupe en deux sa lèvre jusqu’à la base de son nez. À cause de sa laideur, il est rejeté partout, par tout le monde.
Anna, une jeune orpheline, travaille et vit dans un atelier de broderie, dans la ville de Constantinople. Elle prend soin de sa sœur Maria, très malade. Anna apprend à lire en cachette, avec un vieux professeur Licinius. Elle vend des codex, des vieux livres qu’elle a dérobés dans un prieuré abandonné. Elle a conservé un petit codex en peau de chèvre qui semble contenir une histoire écrite par Diogène. L’histoire d’un berger qui s’est transformé en âne, en poisson et qui se retrouve maintenant dans le ventre d’un léviathan. Le berger s’appelle Aethon.
Évidemment, comme dans les films, on sent que ces deux-là courent l’un vers l’autre, les bras grand ouverts, pour un amour éternel ... Peut-être !
Zeno dans les années 1940. Il vit très pauvrement avec son père dans une petite ville de l’Idaho, Lakeport. Les USA entrent en guerre et le papa devient alors soldat. Le père meurt et le petit est adopté par une dame sans enfant. Devenu lui-même soldat à la guerre de Corée, il rencontre le vice-caporal Rex Browning qui l’initie au grec ancien. Une relation amicale vient de naitre. Et une passion pour les livres et la traduction du grec ancien.
Seymour Stuhlman 2002 vit avec sa mère. Elle vient d’hériter d’une petite maison à l’orée d’un bois. Souffrant probablement d’un trouble de l’intégration sensorielle, le petit Seymour n’entre pas en relation avec les autres facilement et doit s’isoler avec un casque coupant les sons. Dans la forêt qui borde le terrain de la petite maison, il se prend d’affection pour une chouette et lui donne le nom d’Ami fidèle. Quand un projet de développement vient raser la forêt pour y construire des maisons, un plan de vengeance surgit dans son cerveau. On assiste à la naissance d’un nouvel écoterroriste !
Konstance une jeune fille de 14 ans, vit dans une immense navette spatiale qui vole vers une autre planète équivalente à la terre. Ça fait plus de 60 ans qu’ils sont partis et la navette devrait prendre plus de 450 années avant de se rendre à destination. Beta Oph2. Donc personne qui habite la navette présentement ne verra le nouvel endroit. Au coeur de cette navette, un ordinateur géant (Sybil), ordinateur très performant, gère tout ce qui se passe : il pilote l’aéronef, gère l’alternance des jours et des nuits, s’occupe des besoins vitaux de chaque passager. Les habitants de la navette ont accès à une bibliothèque bien particulière qui répond à toutes leurs questions ou besoins. Donc, dans moins de 400 ans, ce seront leurs descendants (une dizaine de générations ?) qui pourront commencer une nouvelle vie sur une planète toute neuve, pas encore polluée par l’homme.
Et enfin, personnage central du roman, 24 folios, racontant une histoire loufoque, écrite par Diogène pour amuser sa nièce. L’histoire d’un berger, insatisfait de sa vie, qui part à l’aventure pour découvrir la cité des nuages et des oiseaux. Il sera transformé en âne, en poisson et en corbeau avant de se retrouver enfin au bout de son aventure.
Évidemment, vous aurez compris que tous ces personnages et toutes ces époques se retrouveront autour d’un lien quelconque que je vous laisserai découvrir. Cependant, quel que soit l’époque ou le personnage, « La cité des nuages et des oiseaux » est une formidable ode à la lecture et aux livres.
Il faut dire une chose, la lecture de ce roman n’est quand même pas facile. Dès le début, nous sommes un peu déstabilisés, on se demande où veut nous amener l’auteur. Puis, au fur et à mesure de notre lecture, page par page, on découvre des fils que l’on attache; pas encore complètement rassuré, mais avec une maitrise de plus en plus assurée. On passe d’une époque à l’autre, d’un personnage à l’autre, avec un plaisir grandissant, même en appréciant certains retours en arrière qui auraient pu nous déstabiliser un peu plus. Puis à la moitié du roman, comme par magie, nous voilà avec une aisance de lecture, une compréhension du cheminement de l’auteur et la découverte de tout le génie de celui-ci. Tout s’éclaire ! On ralentit la lecture parce qu’on ne veut pas terminer le roman. Mais en même temps, on est pressé de lire pour connaitre toutes les finales de chacun des personnages et la conclusion du roman. Voilà l’indice d’un roman très réussi.
Anthony Doerr fait preuve d’un respect immense pour l’intelligence de ses lecteurs et lectrices. La structure complexe de son roman, la diversité des personnages et des époques, l’utilisation d’un texte imaginaire d’un auteur du IIe siècle, célèbre pour un récit de voyage fabuleux, un texte de 24 chapitres qui ne nous soit pas parvenu, font de ce livre un grand roman à plusieurs facettes.
À votre choix, ce roman est un récit historique, une dystopie, une thèse écologique, un roman de science-fiction, une allégorie fantastique ou une réflexion philosophique. Pour chacun de ces éléments, il sera un très bon roman. Mais si on le lit en l’abordant sous toutes ces facettes, c’est à ce moment que l’œuvre littéraire devient chef d’œuvre. Et qu’il mérite bien son bandeau rouge.
Extraits :
Le rêve du berger :
« Encore quelques instants, et je sentirais mes bras devenir des ailes ! Je m’élèverais d’un bond, tels des chevaux d’Hélios, et je prendrais mon envol vers les étoiles, en route vers la cité céleste où le vin coule à flots dans les rues et où les tortues portent des gâteaux au miel sur leur dos. La cité où nul ne manque de rien, où le vent d’ouest souffle en permanence et où chacun est doué de sagesse ! »
Apprendre le grec ancien, c’est comme apprendre toute autre langue ...
« À chaque ligne correspond un son, associer les sons revient à former des mots, et en associant les mots on finit par bâtir des univers. »
« Je sais pourquoi les bibliothécaires t’ont lu ces vieilles histoires : si elles sont bien racontées, celui qui les écoute reste en vie aussi longtemps que dure le récit. »
Bonne lecture !
La cité des nuages et des oiseaux
Anthony Doerr
Éditions Albin Michel
2022
692 pages