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12 Novembre 2020
Une chronique de Richard
Il y a des moments où l’on commence un livre et on se dit, après quelques pages, que nous assistons à un événement ! J’ai ressenti cette impression à quelques reprises dans ma vie de lecteur. La première fois que j’ai lu Maus de Art Spiegelman, au moment où j’ai ouvert le premier tome de Millenium de Steig Larsson, mon premier contact avec La Bête de David Goudreault ou, encore plus loin dans mes souvenirs, quand j’ai lu les Premières chroniques du Plateau Mont-Royal de Michel Tremblay. On referme le livre et on est certain qu’il s’est passé quelque chose.
Tout au long de ma lecture de l’album tiré du roman de Patrick Senécal, Aliss, publié une première fois en 2000, j’ai ressenti un sentiment bien particulier, un mélange de frissons dans le dos, d’horreur, un plaisir de lire. Et un régal pour les yeux. Oui, car c’est ce qui ressort de la lecture de cet album superbement illustré pas Jeik Dion, un malaise et le plaisir d’un texte puissant, d’un conte moderne, dur, cru, quand même un peu moralisateur et une sensibilité esthétique indubitable, une explosion violente des illustrations qui accrochent l’œil, tout au long des 264 pages.
Rappelons l’histoire très simple racontée par notre maître du frisson et de l’horreur. Avec des rapprochements évidents avec le conte de Lewis Carroll, Alice au pays des merveilles, Patrick Senécal nous raconte la banale (ah oui ??) histoire de la jeune adolescente qui quitte le nid familial pour aller découvrir la grande ville et ses multiples mystères. Aliss arrive donc à Montréal et se retrouve dans un quartier bien étrange avec des habitants insolites.
Dans ces lieux inconnus, elle rencontrera des personnages excentriques dont le toxicomane Verrue qui désire se transformer en cocon, des êtres bizarres comme Andromaque, propriétaire d’un club, Chair et Bone deux criminels à l’humour douteux, des gentils comme Charles et Mario. Mais aussi, un personnage plus grand que nature, la Reine rouge, tenancière autocrate d’une maison de plaisirs … multiples.
Évidemment, sans argent et avec la naïveté de ses 18 ans, Aliss devra transgresser graduellement les règles de base qu’elle possédait grâce à son éducation. Mais pour atteindre son but, elle semble être prête à tout. Pour le plus grand plaisir de la Reine rouge !
Un peu comme le miroir du conte de Carroll, le métro dans lequel s’engouffre la Aliss « senécalienne », fait un voyage bien particulier, de la station de métro « Des Illusions » jusqu’à celle du « Désenchantement ». Et entre les deux, le voyage sera difficile et rempli de choix déchirants.
Le texte de Patrick Senécal est égal au grand talent de conteur de l’écrivain. Sur la corde raide entre l’excès et la retenue, sans jamais franchir la ligne de l’inacceptable, l’histoire est noire, étrange et violente.
Et ce qui fait que cet album est remarquable, c’est le merveilleux mariage des mots et de l’image. Les illustrations de Jeik Dion sont diaboliquement belles. Dans un style éclaté où les cases s’adaptent parfaitement à l’atmosphère de la scène, chaque page livre sa beauté et aussi, l’horreur de la situation. Les personnages sont particulièrement réussis, avec une mention très spéciale à la représentation de Verrue et à l’inquiétant visage de Chess. Gage de réussite picturale, très souvent, j’ai arrêté ma lecture pour admirer une case, un page et même un page double, spectaculairement belle et horrible.
Un dernier mot sur les illustrations, pour souligner l’ingéniosité des pages de début de chapitre avec un personnage à la « Betty Bloop » au centre d’un lieu presque idyllique. Un contraste vraiment intéressant !
Vous avez lu le roman Aliss ? Vous allez adorer vous tremper dans l’atmosphère superbement glauque de l’album. Vous ne connaissez pas le roman ? Lire ce roman graphique, vous donnera probablement le goût de lire le texte original. Cependant, soyons clairs ! Aliss est un roman pour adultes et la bande dessinée qui vient de paraitre, s’adresse aux amateurs du genre. Noirceur, violence, sexe, dépravation et drogue sont les ingrédients principaux de cet album.
Dans ma bibliothèque, cet album méritera une place spéciale ! Oeuvre de littérature et œuvre d’art, il mérite sa place parmi les beaux objets de notre culture québécoise. Surtout que mon exemplaire est enrichi par la dédicace de Patrick et d’un dessin de Jeik Dion.
Amateurs et amatrices de noir, fan de Patrick Senécal, régalez-vous avec cet album qui vous habitera pendant un bon moment !
Bonne lecture !
Aliss
Texte : Patrick Senécal
Illustrations : Jeik Dion
Éditions Front Froid
Éditions Alire
2020
264 pages
Une entrevue de "Hello Kimmy" (Voir le lien ci-dessous)