Paz
La somme de toutes les haines

Par Christophe Rodriguez
Disons-le tout de suite, Paz de l’auteur breton Caryl Férey trônera au sommet des romans de l’année avec le Thomas Cantaloube : Requiem pour une république (Série Noire), sans oublier le dernier tome de la trilogie de l’auteur américain Don Winslow.
N’ayant jamais lu Caryl Férey, auteur d’un monumental roman sur l’Afrique du Sud selon les critiques, cette découverte en fut toute une. En 535 pages bien tassées, vous allez faire connaissance avec la Colombie, mais certainement pas celle des cartes postales.
Paz qui signifie paix, apparait ironique dans le contexte, puisque le roman s’ouvre lors des accords de paix très fragiles avec les FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie). Après des années où la Colombie fut à feu et à sang, sans compter le nombre de disparitions, exécutions sommaires de part et d’autre, le pays peut-il enfin vivre en paix.
Entre le reportage journalistique et le thriller qui ne copie personne, l’auteur s’immisce dans la psychologie, on pourrait même dire, la pathologie des personnages et des familles. Rapidement, vous allez faire connaissance avec Lautero Batader, le chef de la police de Bogota. À la tête d’une escouade spéciale, héritière des escadrons de la mort, elle fait régner l’ordre, peu importe les moyens. Personnage, en demi-teinte, hanté par la présence de son père Saul, le puissant procureur général, il veut lui plaire à tout prix, mais sans perdre sa dignité.
À l’autre bout du spectre, il y a Angel, « le fils maudit » qui a choisi en son temps, la voie révolutionnaire pour combattre les idéaux d’un père aux accents fascisants. Vivant sous une fausse identité, mais suivi à la trace par son frère, il recherche activement sa fille, enlevée par un cartel ou des hommes de main.
Que ce soit Bogota ou Medellín, la violence est encore bien palpable, la pauvreté hante les rues comme le quartier du Bronx et à travers cette misère qui suinte, les journalistes essaient de faire leur travail, au péril de leur vie. C’est à cet instant que nous croisons Diane, journaliste tenace qui au hasard d’une soirée sur Tinder a passé la nuit avec le chef de Police sans le savoir. Comme les actions violentes se multiplient, elle va inévitablement recroiser cet homme secret en remontant la filière des heures sombres de la guerre civile.
Au jeu du chat et de la souris, tout un chacun joue sa vie surtout quand des turbulences politiques se font sentir. C’est un roman implacable, dense, haletant et qui fourmille de détails comme de scènes, à vous à couper le souffle.
Allez y sans crainte, c’est une réussite, sur toute ligne et quelle puissance dans l’écriture : « une tête d’enfant grisonnant, voilà ce que des gènes mal branlés avaient donné à Francisco Zamora, ce qui plus tard vaudrait son surnom. El Nino avait grandi à la Comuna n13, sur les hauteurs de Medellín, entassé avec sa famille et des centaines d’autres réfugiés de l’Antioquia, dans des baraquements chancelants sur des pentes en friche. Une occupation illégale, d’après les autorités soudain pointilleuses. La police venait le jour détruire les cabanes que les loqueteux reconstruisaient la nuit ».
Bonne lecture !
Paz
Caryl Férey
Série Noire/ Gallimard,
535 p.
2019