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Polar, noir et blanc

Un blogue qui parle de livres, de bons livres, dans tous les genres, juste pour le plaisir de lire et d'en parler.

Fille de fer

Pour souligner la tenue du Salon du livre de Montréal, Polar, noir et blanc vous présente trois romans québécois.

Fille de fer d'Isabelle Grégoire

Une chronique de Richard

 

Un train nommé Tshiuetin

 

Fille de fer est le deuxième roman d’Isabelle Grégoire, journaliste indépendante et globe-trotter. Depuis le début des années 2000, elle collabore à la revue L’Actualité, elle est correspondante de l’hebdo français L’Express au Québec et touche à des sujets variés, de la situation des femmes en Inde jusqu’aux mines du Nunavik en passant par les ermites du Japon. Passionnée par l’éducation, elle en fait son sujet de prédilection.

Plus de cinq ans séparent ce deuxième ouvrage depuis la parution en 2014 de Sault-au-Galant, son premier roman. La grande qualité de ce nouveau récit, l’accueil très positif de la critique et, je l’espère, le succès auprès des lecteurs, mettront probablement de la pression sur l’auteure pour satisfaire son lectorat plus rapidement.  Après avoir terminé « Fille de fer », on devient accroc et on voudrait tout de suite lire une nouvelle histoire de l’écrivaine.
En premier lieu, je vous invite à regarder la magnifique page-couverture. Un mot nous vient immédiatement : énigmatique ! Comme le personnage du géant dans ce roman et surtout, comme Marie Guilbaud, seule femme dans le monde très masculin des conducteurs de train dans le Grand Nord. Cette illustration donne toute sa mesure à ce roman où s’entremêlent la nature, l’amour, les relations avec les autochtones et les conséquences de l’exploitation  des compagnies minières du Nord du Québec.
Après une soirée éprouvante, Marie reçoit le coup de fil qu’elle ne voulait pas entendre. Elle doit conduire un convoi vers Schefferville … en pleine tempête de neige. Seule dans l’immensité de la forêt boréale, son train s’arrête. Un déraillement, un incident quelconque ? Elle doit « marcher son train » : 240 wagons à vérifier, cinq kilomètres en raquettes dans la neige fraîche.
Marie détecte rapidement le problème, revient vers sa locomotive pour avertir la centrale de sa mésaventure mais elle s’accroche les pieds, la cheville droite se casse et elle se retrouve en pleine face … à deux centimètres d’un orignal blanc qu’elle a sûrement frappé. Et qui aurait causé le déraillement.
Elle est recueillie par un géant roux séduisant, un ermite qui vit reclus dans la forêt, entouré de livres et de cette nature sauvage. Il la soigne, la traite comme une invitée de marque, mais Marie reste prudente dans ses relations avec lui.
Qui est-il ? Pourquoi vit-il retiré si loin de la « civilisation » ? Marie découvrira peu à peu ses secrets les plus terribles.
Marie doit aussi faire face aux comportements machistes de certains de ses collègues. Étant la première à exercer ce dur métier, la vie d’une pionnière n’est pas évidente et est remplie d’embûches. Certains de ses confrères de travail ne font rien pour lui faciliter la tâche. Au contraire ! Le camp de Wacouna, à mi-chemin de Sept-Îles à Schefferville est souvent le théâtre d’actes de violence, souvent verbales parfois même physiques. Marie est forte mais à quel point ?

« Au camp, y’a des loups à quatre pattes qui rôdent mais c’est ceux à deux pattes qui sont les plus dangereux... »

Fille de fer est également l’histoire de la difficile cohabitation entre les peuples autochtones et l’appétit grandissant des compagnies minières. Dans cette intrigue où Marie, la jeune métisse, vit son histoire d’amour-haine avec son milieu, il y a toute une série d’enjeux environnementaux et sociaux qui transcendent le roman.
Isabelle Grégoire a eu l’idée de ce roman lors d’un reportage sur les formations d’avenir au CEGEP de Sept-Îles. La rencontre d’une étudiante, première femme à conduire, seule, un train minier sur la Côte-Nord a inspiré l’auteure. L’histoire créée à partir de cette rencontre est passionnante.
Le talent de la journaliste fait de ce deuxième récit, un excellent roman, écrit avec une efficacité étonnante, un sens du récit frappant. L’auteure nous plonge dans ce monde d’hommes en nous présentant un personnage de femme attachante, forte, ne reniant aucunement ses origines cries mais consciente du chemin qu’elle parcourt hors des sentiers battus.
Le lecteur en sort touché par la vivacité de Marie, ému par la beauté sauvage des paysages, le froid des hivers du Grand Nord québécois et le panache des bêtes sauvages, satisfait de s’être fait raconter une histoire au rythme haletant et à la finale explosive. Un plaisir de lire aux parfums des grands espaces.
Grâce à ce roman noir, atténué par la blancheur de la neige, Isabelle Grégoire s’impose comme une des excellents auteurs de la relève du polar québécois. Et bien évidemment, on attendra avec impatience le troisième roman, venant confirmer cet immense talent de romancière.
Bonne lecture !

 

Quelques extraits :

« Mais peu à peu, la magie opère. Je fais corps avec la locomotive, me prolonge dans les deux-cent-quarante wagons. Les vibrations du train aiguillonnent le sang dans mes veines, le font circuler à toute vitesse. Les roues trépident sous ma peau. »

« L’ennui, donc. Ils sont combien, chaque année, à ne plus pouvoir l’endurer ? L’hiver, surtout, quand les jours se tranchent en noir et blanc, sans nuances. L’abime de ténèbres. Le jour aveuglant. Les nuits interminables qui te vrillent l’âme. Le néant blanc. La neige et la glace qui figent les émotions. L’absence de son, de voix, de réponse. Le vide. Une hostilité qu’il faut sans cesse combattre, quelle que soit la communauté à laquelle on appartient, ou croit appartenir. »

 

Les chiens filent à toute allure. Parfois le traineau valse et je vacille. Les chemins de printemps sont coulants et collants mais le blanc s’impose, encore et toujours. La glace s’éternise, empêchant les lacs de caler. Les squelettes des arbres déracinés frissonnent. Les roches sont des boules de neige géantes prêtes pour une bataille. Dans le vent qui se lève, les épinettes givrées s’agitent à en perdre la tête.

 

 

 

Fille de fer

Isabelle Grégoire

Québec Amérique

2019

292 pages

 

 

 

 

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