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26 Août 2019
L’espion qui en savait trop sur les autres
Par Christophe Rodriguez
Plus palpitant que les romans de John Le Carré, et ressemblant étrangement à la fiction de Peter Cheyney avec ses hommes de l’Ombre (Ominibus), le récit que vous allez tenir entre votre main, traite d’espionnage, de guerre froide et d’un homme qui n’eut pas froid aux yeux.
Contrairement à bien des lectures, cette biographie est l’œuvre d’un journaliste consciencieux qui s’est entretenu pendant des heures avec le principal intéressé, soit l’ancien commandant du KGB Oleg Gordiensky qui travailla pour l’Ouest après les évènements de mai 1968 en Tchécoslovaquie. Il est fort possible qu’en ce temps de guerre froide renouvelée auquel nous devons joindre des tensions commerciales, les espions de tous genres aient encore un bel avenir, mais dans le cas qui nous intéresse, les grands blocs se faisaient encore face par pays interposés.
Sortir du sérail
Fils d’un ex-agent du KGB et fier patriote qui contribua à envoyer des centaines de personnes au goulag et parfois ad patres, Oleg Gordiensky grandi à l’abri des privations. Dans un immeuble où habitaient les multiples agents du KGB, il grandit dans la fierté patriotique. Avec un père absent qui se confiait rarement sur son travail et pour cause, il embrassa quand même « la cause ». Doué pour les langues et la culture, il fut immédiatement recruté pour certains « services spéciaux », avant d’être envoyé à Berlin en 1961. Dans cette ville découpée en quatre zones, les désillusions se firent sentir rapidement.
Au contact de la civilisation occidentale et de l’abondance, il regretta rapidement la noirceur de Moscou, la paranoïa ambiante et l’insécurité permanente. En 1968, célébrant à sa manière, mais sans en dire trop « le socialisme à visage humain » de la révolution tchèque , il s’insurgea contre l’arrivée de chars russes, maudissant son pays et envoyant un premier signal aux services secrets danois, ou il était en résidence.
Mieux qu’un espion qui venait du froid
« Retourné » par le MI6, le service secret britannique, Oleg Gordiensky deviendra un espion redoutable. Grâce à sa mémoire infaillible, son travail au « Saint des Saints », les pertes furent lourdes pour les services russes. Alternant entre le cours de sciences politiques que l’on n’enseigne pas à l’université, la plume du romancier et la roublardise d’un homme souvent inquiet, le récit s’avère au cœur d’un monde inconnu.
L’historien-journaliste nous livre un matériau de première main, tout en restant critique. Nous croiserons au hasard les figures de Kim Philby, Iouri Andropov, Brejnev évidemment et Rick Ames qui pendant 30 ans, fut à une « taupe » russe au sein de la CIA.
Une lecture redoutable !
L’espion et le traitre
Ben Macintyre
Éditons de Fallois,
2019
410 pages