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Polar, noir et blanc

Un blogue qui parle de livres, de bons livres, dans tous les genres, juste pour le plaisir de lire et d'en parler.

Né d'aucune femme

Rose, elle s'appelait Rose, c'est tout ce que je sais ...

page 31

Par Richard Migneault

 

« Né d’aucune femme » est un grand roman. Un roman qui consacre d’une façon magnifique tout le talent de Franck Bouysse.

 

Débutée à plus de quarante ans, la carrière de Franck Bouysse connait une ascension assez fulgurante.  Depuis quelques années, avec « Grossir le ciel », « Plateau » et « Glaise », il réussit à nous présenter des romans avec des approches et des thématiques différentes, mais toujours en nous faisant vibrer par sa plume, son style et ses histoires passionnantes. Avec « Né d’aucune femme », l’auteur atteint un sommet, nous transporte au-delà de l’histoire, au plus profond de l’âme humaine. Celle qui est mauvaise, méchante, mais aussi, la belle, la « sans défense », celle qui possède la pureté de la naïveté.

 

Gabriel est un curé de campagne vivant une existence très simple où les grands moments de sa vie se passent à bénir les récoltes et les animaux. Un jour, on le demande à l’hospice de la région pour bénir le corps d’une femme décédée. Secrètement, on l’avertit que sous la robe de la morte, il y a des cahiers. Des cahiers écrits par Rose. Des cahiers qui racontent son histoire. Et que le drame de cette vie doit être révélé.

 

La narration commence avec ces phrases : « Tout est calme. Il n’y a plus de temps à perdre. Voilà. C’est le temps de sauter dans l’eau froide.

 

Mon nom, c’est Rose. C’est comme ça que je m’appelle, Rose tout court … »

 

 

À quatorze ans, Rose est l’ainée de quatre filles. La famille vit sur une ferme qui peine à répondre aux besoins de six personnes et comme « les filles valent pas grand-chose pour des paysans », le père décide de vendre sa fille au maître forgeron du village. Elle sera désormais la servante de cet homme répugnant et de sa mère totalement diabolique. À l’âge où les jeunes filles font des rêves de prince charmant et de château, Rose vit dans un château, mais le prince n’est pas du tout charmant. Au contraire !

 

À partir de ce moment, elle n’aura qu’une tâche : obéir ! À son maître et à sa sorcière de mère. Tout deviendra occasion d’humiliation et de soumission : les consignes, les reproches, les silences, les paroles et les actes. Rose passera de l’enfance à l’âge adulte par le chemin le plus difficile, le plus souffrant, celui qui mène à l’enfer.

 

Onésime, le père, de retour à la maison, avoue son geste à sa femme. Les regrets, les remords s’installent. Le grugent de l’intérieur. Il comprend alors qu’il a commis l’irréparable qu’il devra tenter de le réparer.

 

Au fil des jours, Rose subira les pires outrages. Victime d’une violence insoutenable, elle perdra son innocence, la candeur de l’enfance. Puis, il y a Edmond, le jeune palefrenier, complice dans son malheur ; il lui conseille de fuir, au plus tôt. Il sait ce qui pourrait se passer. Et il sait que ça va se passer ! Mais pourrait-il l’aider ?

 

Sans moyen, démunie, elle gardera quand même une étincelle, une force qui lui permettra de survivre, de passer à travers toutes les humiliations et les violences de ces deux tortionnaires. Consciente qu’elle ne peut échapper à son sort, elle trouvera une arme pouvant lui permettre de supporter sa triste vie. Elle passera par l’écriture pour crier sa peine, ses souffrances et son combat de jeune adolescente contre ses deux agresseurs. Ses geôliers nient son identité ; son écriture lui redonnera son humanité, au moins dans ses écrits. Rose pleure, se défend, résiste, se décourage parfois et souffre. Et le lecteur souffre avec elle, essaie de partager sa souffrance.

 

Les mots choisis avec minutie, les phrases sculptées au scalpel bien affuté, contribuent à la création d’un roman magnifique où chacun des êtres écorchés prend la parole pour nous décrire l’atmosphère terrible de la vie de Rose. Seuls les tortionnaires n’ont pas droit de parole, mais leurs gestes parlent par eux-mêmes.  Rose dans ses cahiers, Edmond dans son incapacité à la sauver, Onésime, le père, dans sa culpabilité et Gabriel, le curé, chacun nous raconte l’histoire, à sa façon, chacun alimente nos émotions. Des êtres inoubliables, des destins déchirants, Franck Bouysse maîtrise parfaitement l’art de construire des personnages attachants, crédibles, qui prennent tout leur sens, toute leur humanité quand ils souffrent aux côtés des affreux, des cruels et des sadiques.

 

« Né d’aucune femme » est un grand roman, à cause de son histoire, mais aussi, parce qu’il est superbement bien écrit. Incapable de résister, j’ai souvent interrompu ma lecture pour relire une phrase, la dire dans ma tête pour en apprécier toute la musicalité et la relire encore une fois pour en savourer les subtilités.

 

Un dernier mot sur l’illustration de la couverture. Au premier coup d’œil, on ne peut qu’admirer la beauté de cette photo, l’intensité que dégage la monochromie de l’image, l’émotion qui émane de cette mère donnant le sein à son enfant. Le roman terminé, on comprend mieux la symbolique de la brisure, de cette brèche étrange traversant l’image.

 

Inutile de vous dire que je vous recommande fortement ce roman. « Né d’aucune femme » est un générateur d’émotions, une lecture qui ne vous laissera pas indifférent. Je dirais même qu’elle pourrait vous secouer.

Pas une lecture facile, mais combien gratifiante !

 

Cœurs sensibles, plongez dans cette histoire, elle saura vous émouvoir !

Amoureux des mots et de la langue, régalez-vous de cette prose magnifique !

Dévoreurs de polars, prenez une pause et laissez-vous emporter par un récit aussi prenant qu’un thriller !

Boulimiques de lecture, n’hésitez pas !

Amants de la littérature, courez vite chez votre libraire et lisez ce formidable roman !

 

 

Quelques extraits :

 

« Il n’y avait pas la moindre trace de fierté sur son visage, mais une incommensurable marque de culpabilité. »

 

« Après une brève hésitation, il entra dans l’unique pièce où l’on se retrouvait pour manger, dormir et quelquefois se mélanger les chairs à souffles tus, à plaisirs contenus. Car s’aimer aurait été un bien grand mot pour exprimer cette faim-là, et ce qu’il en coûtait toujours de l’assouvir. »

 

Et la superbe phrase … « La seule chose qui me rattache à la vie, c’est de continuer à écrire, ou plutôt à écrier, même si je ne crois pas que ce mot existe il me convient. »

 

Un constat terrible ressenti par l’un des personnages : « Toute ma vie j’ai failli être un homme. »

 

 

 

Bonne lecture !

 

 

Né d’aucune femme

Franck Bouysse

La manufacture de livres

2019

334 pages

 

 

 

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M
Je le note. Il a l'air très beau. J'ai hésité à me le procurer cette semaine. Je pense que je vais me laisser tenter. Le thème m'intéresse. Cela rappelle un peu Captive d'Atwood.
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R
Ohhhh ! Tu devrais beaucoup aimer ! Je fais plus que te le conseiller ... je te le garantis !!!
A
C'est LE roman de cette rentrée de janvier.
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R
Tout à fait !