5 Mars 2018
Une chronique de Sylvie Langlois
Hambourg, été 1947. La ville est ravagée par la guerre et suffoque sous une chaleur torride.
« Vers dix heures du matin, la Reeperbahn est triste. Des feuilles de journal rampent sous le vent tiède, devant les terrains bombardés. Il y a du vomi sur les pavés ; la puanteur de fumée de cigarettes, de bières rance et d’urine est accrochée aux murs fendillés de maisons. »
La guerre est finie, des débris jonchent les rues. La ville est anéantie. Les conduites d’eau fonctionnent à peine, l’eau devenue une denrée rare, la nourriture est concédée aux cartes de rationnement. Les gens vivent dans des abris de fortune sous les décombres. Le marché noir est florissant, la cigarette américaine monnaie d’échange que tout le monde s’arrache. Les conditions de vie sont exécrables. Quelques milliers d’enfants orphelins y survivent tant bien que mal, volant du charbon dans les convois de train, ou vendant leurs corps pour quelques clopes. C’est la désolation la plus totale.
Un jeune garçon de 14 ans est retrouvé poignardé, le corps gisant sur une bombe jamais explosée dans un entrepôt vide des chantiers navals Blohm et Voss. La lourde enquête sera confiée à l’inspecteur de la police allemande Franck Stave en collaboration avec le lieutenant MacDonald de la police d’occupation anglaise. Pour leur deuxième enquête, ils devront travailler de concert pour retrouver cette fois, un assassin d’enfant. Qui a pu tuer un si jeune garçon, pourquoi le corps gît-il dans cet entrepôt abandonné ? Lorsque l’identité de l’enfant sera révélée, et ses proches localisés, l’investigation les mènera vers les « enfants-loups ». (Dans l’épilogue, Cay Rademacher, explique que ces enfants ont perdu leur parent durant l’hiver 1945-1946, ou ont été séparés d’eux quand leurs familles tentaient de fuir l’avancée de l’armée rouge pour se réfugier à l’ouest du pays. Ils ont erré pendant des années, survivant tant bien que mal.) Stave et MacDonald en apprendront beaucoup de ses enfants loup, les quelques indices recueillis au compte — gouttes les guideront vers les contrebandiers, les prostituées, les jeunes voleurs de charbon et les travailleurs du chantier.
Il s’avère que notre jeune victime trempait dans la contrebande, mais dans quel type d’escroquerie le jeune garçon était-il impliqué ? Et surtout pourquoi son corps fut-il retrouvé sur le chantier naval dont l’accès est interdit ? Lorsque deux autres enfants errants seront retrouvés morts, le duo d’enquêteur sera de plus en plus sous pression. Stave sera déterminé plus que jamais à résoudre cette difficile enquête qui lui tient particulièrement à cœur, et MacDonald pour sa part doit briller coûte que coûte, car il craint d’être déporté à un autre poste à l’autre bout de l’empire. Quitte à investiguer illégalement, nos deux compères useront de stratagèmes pour réussir à s’introduire sur le chantier naval afin de démasquer le ou les coupables d’un tel crime.
Entre temps, notre brave inspecteur Stave aura à vivre non sans appréhension le retour de son fils Karl, endoctriné dans la jeunesse hitlérienne et un fervent nazi. Leur relation n’a pas toujours été au beau fixe et Stave aura du mal à gérer ce retour quasi inespéré.
Ce que j’ai aimé :
Le personnage de Franck Stave. Un être sympathique, un personnage d’une grande crédibilité, qu’on aimerait rencontrer. Son humour sarcastique, parfois pince-sans-rire, mais capable d’une grande chaleur humaine. Ses relations avec les autres, surtout avec son fils Karl est décrit avec beaucoup de sensibilité. On ressent son désespoir, ses craintes, ses doutes et ses peines. Bref, un personnage de flic fort touchant et attachant.
Les méthodes d’enquête de l’époque. Aucun outil moderne à porter de main, simplement un travail d’investigation honnête et franc. Une bonne matière grise et un bon sens de déduction étaient nécessaires. J’adore !
Sans oublier bien sûr, le contexte historique. En plus d’être un bon roman policier, c’est aussi un petit cours d’histoire. J’ai découvert la ville de Hambourg d’après-guerre comme si j’y étais. Une visite guidée dans ses rues, ses décombres, ses logements délabrés avec le robinet qui goutte. Même quelques effluves malodorants ont piqué mon nez. L’atmosphère dense et authentique nous plonge littéralement dans l’époque. La ville vit presque sous nous yeux. Tout est dans le moindre détail.
Si vous aimez les bonnes vieilles enquêtes à l’ancienne et les romans historiques, n’hésitez pas. Je vous recommande aussi le premier volet des enquêtes de l’inspecteur Franck Stave « L’assassin des ruines » paru en 2017.
Un bon roman.
Extrait :
« Un Russkof est entré et a violé ma mère, poursuit-elle sans émotion particulière. Et puis, il a tout cassé en mille morceaux. Il a gesticulé avec son fusil et nous a chassés de notre maison. Il faisait plutôt froid dehors. Nous sommes partis sans nous retourner, direction ouest. Siegfried, mon petit frère, est mort de faim quelques jours plus tard. Ma mère a trouvé un carton et l’a enterré contre le mur d’une maison. Il avait trois mois. »
L’orphelin des docks.
Cay Rademacher.
JC Lattès
Éditions du masque.
2018
Cay Rademacher a étudié l'histoire anglo-américaine et la philosophie à Cologne et à Washington avant de devenir journaliste et écrivain. Il a...
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