9 Janvier 2017
Parce que survivre ne suffit pas.
“Station Eleven” est un roman inclassable, un Ovni littéraire apparenté à de la science-fiction, mais profondément humain, sans aucun artifice d’objets scientifiques. “Station Eleven”, c’est l’humain placé dans une situation intenable, effrayante; c’est l’homme et la femme rassemblés dans une nouvelle communauté, entourée de désolation et d’une civilisation qui s’est arrêtée presque du jour au lendemain. “Station Eleven”, c’est une troupe de théâtre shakespearienne dont les acteurs et les musiciens offrent aux survivants, un instant d’espoir, un moment de culture issue des siècles précédents. “Station Eleven”, c’est aussi deux albums de bandes dessinées, élément important d’une mise en abyme un peu particulière, étrange.
L’auteure canadienne Emily St. John Mandel nous offre avec “Station Eleven” un roman atypique pouvant toucher les lecteurs qui généralement n’accrochent pas à ce genre de récit. Ici, pas de zombies, pas de machines volantes imaginaires, juste des histoires pleines d’humanité.
Emily St. John Mandel a su créer un monde qui se détache réellement de ces romans dits apocalyptiques même si on ne peut s’empêcher de se rappeler l’angoissante lecture de « La route » de Cormac McCarthy.
Tout débute dans un théâtre de la ville de Toronto où l’on présente le Roi Lear. Au quatrième acte, Arthur Leander, l’acteur principal, trébuche, tombe par terre et meurt d’une crise cardiaque. Sous les yeux horrifiés de trois petites filles jouant un rôle de figurantes, Jeevan Chaudhary, essaie de sauver la vedette de la pièce.
Pendant ce temps, partout dans le monde, se répand une grippe virulente avec un taux d’incubation le plus rapide jamais vu. Deux semaines plus tard, 99% de la population est morte. Plus d’électricité, les avions sont cloués au sol, les autoroutes sont bondées d’automobiles immobilisées occupées par des morts qui espéraient fuir le virus.
Les rescapés forment de petites communautés. On espère. On attend quoi ? Un avion qui arrive, la garde nationale qui viendrait les réchapper, un bateau qui viendrait d’ailleurs apportant de bonnes nouvelles. En vain.
Dans la vie d’avant l’hécatombe, deux endroits étaient reconnus pour leurs longues attentes : les hôpitaux et les aéroports. Pendant une pandémie de ce genre, on évite les hôpitaux, mais l’aéroport de Severn City accueillera quelques centaines de voyageurs qui s’y établiront.
Le temps passe, la civilisation d’avant est encore bien présente dans la mémoire de ceux qui l’ont vécue. Il faut penser à ceux qui sont nés après, qui doivent savoir d’où ils viennent pour mieux comprendre ce qui s’est passé. Un survivant crée un musée où il dépose quelques artefacts d’un monde qui lui semble si loin. Cellulaires, iPad, revues, grille-pains ou souliers à talons aiguille, tous ces objets ne sont que des souvenirs d’un autre temps. Preuve que la culture est encore vivante, une troupe de théâtre en tournée perpétuelle, apporte divertissement et espoir à ces petites communautés dispersées autour des Grands Lacs.
Le récit se déroule à différentes époques : avant la pandémie, deux semaines après et aussi, quelques vingt ans après ces terribles moments.
L’auteure joue avec les personnages et les époques, fait des allers retours et nous tricote un récit passionnant, par les découvertes que l’on fait. Elle sait parfaitement où elle veut amener ses personnages. Le lecteur est un peu décontenancé par cette construction et cette structure, mais quel plaisir de s’abandonner dans les méandres du récit, quel bonheur de se laisser transporter par le talent de St. John Mandel et par la complexité de ses personnages. Personnages que l’on découvre petit à petit, couche après couche, dans un amalgame d’époques habile et captivant.
J’y ai vécu des scènes intenses, des moments de réflexion fiévreux et j’en suis ressorti un peu secoué, mais non sans avoir bénéficié d’une bonne dose d’espoir. En ce monde et aux humains qui l’habitent.
L’aéroport de Severn City, malgré les drames qui ont marqué son histoire, demeure toujours un symbole de départ vers un ailleurs. La devise inscrite sur les caravanes de la troupe de la Symphonie Itinérante est aussi un message d’espoir : « Parce que survivre ne suffit pas. »
Emily St. John Mandel a écrit un superbe roman qui ne vous laissera pas indifférent. La barre sera haute et les attentes élevées pour la sortie de son cinquième roman. Mais en attendant, je me laisserai probablement tenter par « Les Variations Sebastian » son 3e roman.
Vous ne connaissez pas cette auteure canadienne-anglaise ? Amateurs de polars et de romans noirs, n’attendez pas la fin d’un monde pour découvrir l’Apocalypse selon Emily St. John Mandel.
Bonne lecture !
Quelques extraits pour …la route !
« Dans les moments où d’autres ne pouvaient que regarder, impuissants, il voulait être celui qui intervient. »
« Ils passent leur vie à attendre que leur vie commence. »
« J’ai marché toute ma vie dans ce monde souillé. Après cette première année dont elle ne se souvenait pas, quand elle avait quitté Toronto avec son frère, celui-ci avait été la proie de cauchemars. « La route », répondait-il quand elle le secouait pour le réveiller et lui demandait de quoi il avait rêvé. Il disait : « J’espère que tu ne te rappelleras jamais. » »
Station Eleven
Emily St. John Mandel
Alto
2016
425 pages
Le site de l'auteure
Dans un théâtre de Toronto, un célèbre acteur jouant le roi Lear s'effondre sur scène. Crise cardiaque. Le même soir, dans un hôpital de la ville, une épidémie foudroyante se déclare. Gri...
http://www.ledevoir.com/culture/livres/478031/quand-tout-disparait
Un article du journal Le Devoir
Emily St. John Mandel nous présente Station Eleven
Emily St. John Mandel - Éditions Alto
Emily St. John Mandel est née en 1979 en Colombie-Britannique. Elle a étudié la danse à Toronto puis a habité à Montréal. Elle a publié trois romans policiers grâce auxquels elle a retenu ...
La page de l'auteure sur le site de sa maison d'édition