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29 Janvier 2017
Elena Piacentini est, pour moi, une valeur sûre. Son roman arrive sur ma table de chevet, je sais d’avance que je vais me régaler. Que l’histoire sera très bonne et qu’elle sera bien racontée ! Que ses personnages sauront encore me toucher et me faire vivre une gamme d’émotions ! Que Mémé Angèle m’enveloppera de ses attentions et me rappellera l’amour de mes grands-parents. Que l’auteur réussira à me conscientiser sur un phénomène social que j’ai tendance à oublier. Et bien sûr, je serai charmé par l’écriture d’Elena, par ses phrases bien tournées et magnifiquement poétiques.
Eh bien non ! Pas cette fois-ci !
Non, car « Aux vents mauvais » est encore meilleur que cela et qu’il a dépassé mes attentes.
« Aux vents mauvais » m’a touché profondément en mêlant une histoire de cruauté inouïe avec un récit touchant, marqué de passages tendres et émouvants. Un équilibre parfait entre le beau et le laid, l’amour et la haine, la douceur et la violence. Un personnage du roman exprime ce sentiment en disant qu’il vit un « bon-mal-au-cœur ».
Dans ce roman complexe, mais tout de même très accessible, l’auteure réussit à nous plonger au cœur d’une dynamique sociale aux accents de déracinement, de nostalgie et d’amour.
« Aux vents mauvais », c’est l’histoire d’un jeune Réunionais, déraciné de son île pour aller repeupler les campagnes de France, dans les années 70. Avec une promesse d’un avenir moins noir, Jean-Toussaint est transplanté sur un autre continent, l’esprit plein de rêves et le cœur rempli d’amour pour cette belle Marie-Ève, rencontrée pendant le voyage. C’est aussi le déchirement de Mamilouise, sa grand-mère, qui fait le sacrifice de son petit-fils pour qu’il puisse découvrir un monde meilleur.
Tout commence avec l’achat d’un couteau qui faisait rêver le jeune adolescent. Cette lame, si difficilement acquise, est son moyen d’expression, son écriture à lui pour dire ce qu’il est et ce qu’il espère. Lors de son départ précipité, il ne pourra pas aller le chercher dans le creux d’un arbre où il l’avait caché. Le drame d’un des « Enfants de la Creuse » !
« Aux vents mauvais », c’est la beauté. La beauté de l’amour entre deux jeunes. La beauté d’une sculpture qui ne représente pas juste l’image d’un modèle, mais son âme, sa pensée et sa mémoire. Et l’amour que lui voue le sculpteur !
« Aux vents mauvais », c’est aussi l’horreur ! L’horreur de la découverte du corps d’une jeune fille, Jessica, horriblement mutilée, dans le sous-sol d’une maison en démolition. Une jeune fille dont plus personne ne se souvient ; sauf peut-être, quelques adolescents racistes qui l’ont agressée.
« Aux vents mauvais », c’est aussi la voisine fouineuse, Colette, professeure de mathématiques à la retraite, consignant des données inutiles en observant le monde qui l’entoure, à partir de la fenêtre de son bureau. Depuis la mort de son mari, « Colette donnait du grain à moudre à son intelligence pour éviter de broyer du noir ». Colette, c’est aussi la représentation même du talent d’Elena pour construire des personnages dits secondaires, mais avec une présence, un caractère et des caractéristiques qui font en sorte qu’à la fin du roman, on n’oublie pas ces personnes qui ont joué un petit rôle dans l’histoire, mais qui nous ont touchés par leur humanité bien spéciale. Pour moi, le chapitre 5 où l’auteure nous décrit cette Colette Chabroux, ce texte est un morceau d’anthologie.
Mais ces vents mauvais soufflent aussi sur Pierre-Arsène Leoni et son équipe. Cette enquête touche profondément Leoni. En plus, il s’inquiète pour son jeune lieutenant, Thierry Muissen qui vit les moments les plus difficiles de sa vie. Mais, c’est aussi la solidité de cette équipe, la puissance de l’amour entre Leoni et sa belle légiste et la douceur du cocon familial avec Mémé Angèle et la poésie de sa langue.
Voilà ce qu’est « Aux vents mauvais », un roman puissant, une histoire qui fait réfléchir, une enquête passionnante, mais pas si importante que cela, des personnages plus humains que nature et …un lecteur comblé ! Mais aussi une écriture imaginative et un style coloré qui enjolivent le récit et qui vous charment, parfois même, dans les pires moments d’horreur. À la fin, on en redemande.
Amis lecteurs québécois, vous ne connaissez pas Elena Piacentini, n’hésitez pas à faire l’acquisition de ses romans, tout nouvellement disponibles au Québec. Pour moins de 25$, vous pourriez vous procurer deux de ses meilleurs romans en livre de poche (voir le lien ci-dessous vers les Libraires.com). Et après cette lecture, vous serez comme moi, un inconditionnel de cette auteure.
Pour mes lecteurs européens qui ne la connaitraient pas, vous aussi, vous avez la chance d’avoir accès à tous ses livres. Pour les autres … vous savez de quoi je parle !
En attendant, je ne peux faire autrement que de vous choisir quelques citations qui vous démontreront ce que j’ai essayé de vous illustrer.
« Sourcils froncés, bouche pincée à l’oblique et l’index agité, elle aurait pu apparaître menaçante n’eussent été la larme de velours dans son regard et le pli de sollicitude au coin de ses lèvres. »
« Les guerres sont la résurgence de temps sans langage. Elles enfantent des abominations qu’aucun verbe ne peut contenir. »
« - Je l’ai vue, oui. Mais, Dieu m’est témoin ! Je ne lui ai rien fait.
Visage fermé, Leoni s’abstint de lui rétorquer qu’en tant que témoin de moralité, ça faisait belle lurette que Dieu avait perdu toute crédibilité. »
Et en prime, soulignant le ton parfois revendicateur d’Elena, cet extrait, superbe : « Jean-Toussaint, c’est comme un géant parmi une race qui compte de plus en plus de nains. Et plus ils sont nains, plus ils compensent en occupant des fonctions importantes. »
Bonne lecture !
Aux vents mauvais
Elena Piacentini
Au-delà du raisonnable
2016
280 pages
Page de l'auteure sur le site de sa maison d'éditions "Au-delà du raisonnable"