23 Septembre 2016
La plume de R. J. Ellory vient encore une fois me barbouiller le cœur. Si le cœur de son héros semble sombre, sa prose tout en contraste est imprégnée d’une lumière incandescente. Ellory est un conteur admirable, un grand styliste, il ne fait pas que raconter son histoire, il la dessine, la teinte de sa palette chromatique, d’où en découle un tableau d’une grande maîtrise.
Et ce dernier roman ne fait pas exception, il démontre encore une fois son immense talent à vous amener à travers les contrées de l’âme humaine, au plus profond des esprits torturés, obscurs et malveillants.
"Peut-on un jour expier toute culpabilité destructrice qui nous ronge ?"
New York, East Harlem, quartier mal famé de Manhattan, y règne Sandià, le roi incontesté de la pègre portoricaine, aussi connu sous le nom de l’homme pastèque. L’arrondissement entier lui appartient, y gravite autour tout ce qu’un quartier de ce genre peut vous offrir dans ses aspects les plus sinistres et les plus sombres. La corruption est maîtresse de maison et Vincent Madigan, inspecteur notoire y baigne en toute impunité, caché derrière son masque honorable d’homme de loi.
Vincent est un être torturé par ses errements et ses vices qui l’ont amené peu à peu à commettre souvent l’irréparable. Il a accumulé une immense dette auprès du numéro un local, Sandià, qui risque de lui coûter beaucoup plus que sa vie.... sa dignité d`homme et de père. Il n’a donc plus le choix, avec l’aide de trois malfrats qui ignore tout de son identité, il organise une razzia dans une des piaules du dealer véreux. Si tout fonctionne selon son plan et qu’il réussit son coup, il mettra la main sur un magot de plus de 400 000 dollars, un pactole inespéré.
Mais le braquage finira en queue de poisson. Tout part en vrille, une vraie zone de guerre, des tirs incontrôlables, s’ensuit un carnage sanglant et non sans conséquence lourde. Tous battent en retraite. Percé à jour, Vincent devra donc revoir sa stratégie et par la force des choses, rejouer ses pions et éliminer ses acolytes.
`` La destination ne dépend jamais d’une seule facette du voyage, et si on parle de la vie, la destination qu’on avait prévue n’est de toute manière jamais celle où on arrive. Et ce n’est jamais une seule chose qui nous fait perdre le contrôle, qui fait que notre vie nous échappe. ``
Mais le destin ou le mauvais œil, appelé le comme vous le voulez, n’en a pas fini avec notre inspecteur. En route pour le commissariat, celui-ci recevra un appel de la centrale et devra retourner sur les lieux de son propre crime. Ironie cruelle du sort, l’enquête lui sera confiée, et sur les lieux il découvrira que non seulement l’argent dérobé est inutilisable, mais qu’il y a une malheureuse victime, dommage collatéral. Tapis à l’intérieur, gît une petite fille, l’abdomen perforé par une balle perdue.
Les forces de l’ordre ainsi que les caïds sont sur les dents. Des têtes tombent et les morts s’accumulent. La traque au coupable est mise en branle, qui a planifié ce bain de sang. Se sentant acculé au pied du mur, jouant sur deux tableaux à la fois, Vincent n’a plus d’option, il doit coûte que coûte sauver son salut en misant sur son plus gros atout, découvrir qui est la petite fille. Que faisait-elle planqué entre ses quatre murs ? Qu’a-t-elle vu ? Un sentiment terrible de culpabilité l’assaille, brodant entre remords et insouciance, il doit expier. Encore faut-il que l’homme souhaite se racheter !
Madigan est un personnage tout en contraste, teinté de noir et de blanc. Il a rejoint le club des personnages que l’on n’oublie pas, ceux qu’on ne peut ou ne veut détester, malgré leurs failles profondes. Antihéros sans remords, loser dans la vie, abandonné par ses femmes et ses enfants, anesthésié par l’alcool et les drogues, mais aussi ravagé par ses fautes et ses peurs.
L’auteur nous dépeint une Amérique rongée par ses propres spectres. Une terre de complots, de corruptions et de manipulations, une terre où chaque être se déshumanise pour son propre salut.
Un roman très noir, nimbé d’une atmosphère sombre et très prenante. Un roman d’une construction remarquable, on y entre en se demandant si Ellory saura une fois de plus nous surprendre et on en ressort avec cette certitude, oui, le pari est gagné. Un roman captivant, une réussite à coup sûr !
Si vous êtes tout comme moi, un lecteur assidu de l’auteur, alors courrez chez le libraire. Je l’ai littéralement dévoré d’une traite.
Extrait :
« Des choses se produisent. Pour la plupart mauvaises. Trop pour s’en souvenir. Vous oubliez les détails, évidemment. Les détails sont sans importance jusqu’à ce qu’ils en prennent, et alors ils deviennent vitaux. »
« Il souffrait, émotionnellement, mentalement, spirituellement. C’était comme si son cœur pleurait dans une pièce sombre et qu’il ne pouvait que l’entendre, jamais le voir ni le toucher, jamais le consoler. »
« Il frissonna. Il se sentait transparent. Il avait l’impression que le monde entier le voyait tel qu’il était vraiment, que le monde entier voyait le petit poing serré de son cœur sombre dans sa poitrine.il avait honte. Non, il n’avait pas honte. Il se sentait juste petit, infiniment petit. »
Un cœur sombre.
R.J Ellory
Sonatine
488 pages.
Chronique rédigée par Sylvie Langlois, collaboratrice à Polar, noir et blanc.
Un coeur sombre - R. J. Ellory | SONATINE Editions
Jamais l'expression d'anti-héros n'aura été aussi pertinente. Avec ce portrait passionnant et sans concession, R. J. Ellory creuse au plus profond de la conscience d'un homme au cœur sombre pri...
Sur le site des éditions Sonatine