21 Août 2016
Certains auteurs sont pour moi de véritables phénomènes et leur livre, d'authentiques OLNI, des objets littéraires non identifiés. Martine Desjardins semble être de ceux-là !
Peut-être ! Car je n’ai lu qu’un roman de cette auteure québécoise et je suis tombé en bas de ma chaise … de lecture. Sans dommage ni fracture !
Et comme cela m’arrive souvent, par la magie de Facebook, j’ai pu échanger un peu avec cette auteure … et j’ai pu confirmer ma première impression. On ne s’ennuie jamais avec Martine Desjardins ; elle possède une imagination fertile et débridée. « La chambre verte » en est une preuve vivante ( … vivante comme un roman peut l’être, évidemment !).
Bon, essayons de vous résumer l’histoire.
Le récit tourne autour d’une pièce, d’une certaine maison construite par Louis-Dollard Delorme. Un peu grippe-sou, ce charmant patriarche ferait passer Séraphin Poudrier pour un dépensier incontrôlable. Lors de la construction de cette maison, il a imaginé une pièce centrale, logée dans les fondations de l’immeuble, une chambre forte, blindée, peinte à la couleur vénérable de l’argent qui pour lui a une odeur. Une odeur de sainteté.
Quatre-vingts ans plus tard, après une période fastueuse où cette maison avait une architecture très bancaire, deux huissiers, lors d’une saisie, découvrent dans cette chambre verte, le cadavre d’une femme momifié avec une brique dans la bouche.
Commence alors, ce récit complètement déjanté, d’une maison qui nous raconte ses habitants, leur vice et leurs rares qualités, leurs habitudes et leurs travers. Chaque page est une surprise, chaque élément révélé vient surprendre le lecteur. Évidemment, cette maison a plus que juste une paire d’oreilles ; elle nous parle, nous explique et nous révèle les secrets les mieux gardés de cette saga familiale.
Leur journée se passe à faire de l’argent et leur soirée, à le compter. Quand la journée a été fructueuse, on se paie une … tasse d’eau chaude.
Puis, un jour, une jeune fille vient pour louer un appartement. Pénélope Sterling (Penny pour les amis) s’installe dans l’entourage de la famille Delorme. Elle provoque l’intérêt ($$$) de la famille, car elle a inventé un jeu qui lui rapporte gros. Immédiatement, tout est mis en place pour « arranger » un mariage avec le fils de la famille. Belle façon d’augmenter rapidement le pécule familial !
Voici le prétexte pour nous faire faire le tour de la saga familiale des Delorme en commençant par les débuts fortunés de Prosper Delorme, la construction de la maison et les multiples façons d’économiser de l’argent, en faire et parfois même en dépenser …juste un peu ! Cette famille ne possède pas juste de l’argent, elle invente des trésors d’imagination pour en avoir plus et pour en dépenser moins. De la crème glacée ? Non, on peut lécher autre chose. Acheter de la chapelure ? Nenni, quand on possède la matière de base. Goûter le fumet d’un bon steak ou d’une viande grillée ? Pourquoi pas, surtout quand on a le nez fin …
Bref, toutes les aventures payantes de cette drôle de famille vous feront sourire et même parfois, rire aux éclats. Martine Desjardins possède (eh oui … l’esprit de possession semble s’être transmis par osmose …) un sens de l’humour oulipien, surréaliste, qui goûte le caramel à la fleur de sel.
Chaque personnage de cette famille vous offrira des trésors de plaisir, autant dans leurs nombreux travers que dans leur humanité très monétaire. Les Delorme, grand-père, père et fils, les trois vieilles filles, Morula, Blastula et Gastrula, tous les personnages sont tricotés habilement par l’auteure. Mais mon personnage favori aura été la « belle » Estelle, la tendre épouse de Louis-Dollard.
« La lumière du jour n’est pas tendre envers ses cinquante-quatre ans et met en relief la flaccidité de ses chairs. Le bas de son visage, alourdi par une épaisse bourre adipeuse, lui pend du cou et tremble comme un fanon de dinde à la moindre déglutition. Ses cheveux ont la couleur de la laine d’acier. Ses yeux mornes ne sont plus qu’une fente transversale entre ses paupières boursoufflées … »
Vous dire à quel point j’ai aimé ce roman, pendant l’écriture de cette chronique je devais me retenir de le relire, en tout et en partie. Je m’amusais à relire les passages surlignés en jaune (ma méthode de travail !!) et j’avais de la difficulté à m’arracher à ma lecture pour écrire une ou deux phrases et reprendre ma lecture.
Je vous avertis, lire du Martine Desjardins crée une accoutumance impossible à soigner ! Alors, soyez prévenus ! Le pire qui pourra vous arriver, c’est d’être complètement accroc. Pas de problème, il vous restera, comme à moi, quatre autres livres pour guérir ? Non, pour accentuer la dépendance !
Voici quelques extraits … commencera, ici, le début de votre dépendance. Vous ne voulez pas succomber ! Alors, passez votre chemin et ne vous ennuyez pas trop ! La vie est longue … sans sourire !
« Non seulement elle a conservé sa taille de jeune fille, mais elle l’a doublée. »
« Je ne connais pas meilleur usage aux dollars que l’accumulation. »
« Estelle entreprit de lui inculquer le principe fondamental de l’économie, celui auquel elle-même adhérait depuis sa plus tendre enfance : ménager sa salive. »
Bonne lecture !
La chambre verte
Martine Desjardins
Alto
2016
248 pages
Deuxième d'une famille de six enfants, Martine Desjardins est née à Mont-Royal, dans la rue où elle vit encore aujourd'hui. Après des études de russe, d'italien et de littérature compar...
La page de l'auteure sur le site des éditions Alto
" Les murs ont des oreilles ", répète un vieux dicton paranoïaque. De manière imagée, les maisons peuvent aussi parfois avoir en propre un coeur, une âme, une vie. Martine Desjardins donne à...
http://www.ledevoir.com/culture/livres/466507/litterature-quebecoise-revers-de-fortune