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Polar, noir et blanc

Un blogue qui parle de livres, de bons livres, dans tous les genres, juste pour le plaisir de lire et d'en parler.

"Hérétiques" de Leonardo Padura

« Hérétiques », une ode à la clandestinité ! De l’atelier de Rembrandt jusqu’au malheur des jeunes emos de La Havane au XXIe siècle !

Existe-t-il encore quelqu’un qui manifeste son ignorance en traitant la littérature policière de sous-genre ou de roman de gare ? Si oui, je lui conseille de lire « Hérétiques » de Leonardo Padura et il se rendra compte qu’un roman policier peut être, à juste titre, un très grand roman ! Un très, très grand roman !

En ce qui me concerne, Leonardo Padura pourrait recevoir d’ici quelques années, le Prix Nobel de littérature. Que ce soit par ses polars mettant en scène l’inimitable Mario Conde ou par ses romans historiques à saveur politique, la qualité de son écriture et l’immensité de son imagination débordante sauront vous éblouir par la profondeur des sujets qu’il aborde, la complexité des personnages, réels ou fictifs et sa facilité à utiliser des structures romanesques à couper le souffle.

Je suis un fan de cet auteur. Et je vous le dis, ses derniers romans ne sont pas très faciles d’accès. Mais le plaisir que vous en retirerez en vaut bien l’effort. « Hérétiques » est selon moi, un chef d’œuvre de littérature policière et mérite sa place dans un futur panthéon du genre.

« Hérétiques » regroupe trois histoires qui, évidemment, se rejoignent pour notre plus grand plaisir de lecture. Et la magie de Padura nous guide à travers trois mondes parce que « … l’histoire, la réalité et le roman fonctionnent avec des moteurs différents. »

Un matin de 1939, à La Havane, Daniel Kaminsky se réveille, avec toute l’excitation que suscite une journée où sa vie devrait prendre un tournant attendu depuis longtemps. Dans quelques heures, le paquebot S. S. Saint Louis, accostera au port, avec à son bord, Isaïas, son père, Esther sa mère et Judith, sa sœur. Comme les 934 autres Juifs, passagers du bateau, ils fuient la menace nazie en mettant tout leurs espoirs sur une nouvelle vie dans l’île cubaine.

Quelques soixante-dix ans plus tard, Mario Conde s’est recyclé en libraire, spécialisé en livres anciens et de collection. Avec ses amis et entre deux bouteilles de rhum, il écume les bibliothèques privées pour enrichir son fonds de librairie, n’ayant aucune nostalgie de sa vie d’avant. Un matin, recommandé par son ami Andrès, médecin à Miami, il reçoit la visite d’un homme étrange, Sa demande : retrouver un tableau de Rembrandt. Et l’histoire qu’il lui raconte est tout simplement fascinante.

Un matin de 1939, son grand-père, sa grand-mère et sa tante étaient passagers sur le S. S. Saint Louis ; leur sauf-conduit, leur passeport vers la liberté, vers la vie, prenait la forme d’un petit tableau représentant le Christ et signé par le grand maître hollandais. La famille Kaminsky n’a jamais débarqué à Cuba ; le bateau a été retourné en Pologne et tous les Juifs se sont retrouvés dans les camps de concentration nazis.

Le mystère était complet : dans quelles mains ce tableau s’est-il retrouvé ? Et surtout, qu’est-ce le père de ce visiteur ( Daniel Kaminsky) a-t-il fait pour venger sa famille, condamnée à brûler dans les fours crématoires ?

Commence alors une enquête complexe et prenante où le lecteur sera appelé à suivre Conde dans les quartiers glauques de La Havane, découvrir graduellement toutes les facettes cachées de la corruption en 1939 et surtout, avec un grand plaisir, faire une incursion, instructive et passionnante, dans la vie quotidienne de Rembrandt et de ses élèves, en 1645, à la Nouvelle Jérusalem. Trois histoires captivantes ! Et je dois mentionner que l’aventure d’un de ces élèves m’a particulièrement intéressés. Elias Ambrosius de Avila, un jeune Juif, rêvant secrètement de devenir peintre et surtout, d’être un élève du grand maître, doit combattre les « démons extérieurs », fruits de la Torah, qui interdisent la reproduction du visage et du corps de l’homme … sous peine d’exclusion … et d’hérésie. (Quel rapprochement à faire avec l’actualité !)

Oui, l’hérésie, l’exclusion, le rapport à la norme, le droit d’être qui l’on veut et non un personnage que les lois, civiles et religieuses nous dictent, voilà le véritable sujet de ce roman. Et Padura le traite d’une façon magistrale, à travers les siècles, les époques, les guerres, les nations et les religions, de la sensibilité des jeunes artistes d’Amsterdam au XVIIe siècle à la dépravation des jeunes Cubains des années 2000.

Roman historique, roman d’apprentissage, roman d’amour, polar noir, enquête policière, histoire de l’art et fable morale, tous les ingrédients sont présents pour en faire un excellent roman contemporain. On ne s’y ennuie jamais, on est passionné, on apprend des choses et on vogue, comme un paquebot dans une mer calme, sur un plaisir de lecture que l’on ne voudrait pas terminer. Rien de facile, de la complexité mais aussi de grands moments littéraires. Si vous avez le courage de vous lancer dans cette belle aventure, vous ne le regretterez sûrement pas.

En ce qui me concerne, une seule question demeure : à quand cette reconnaissance mondiale pour un écrivain qui le mérite amplement ?

Quelques extrais (j’aurais pu en mettre beaucoup plus …) :

« Ces mots sont comme des bijoux anciens. Tu les nettoies un peu et ils retrouvent leur éclat. »

Sur une pierre tombale : « Joseph Kaminsky. Il eut foi en Dieu. Viola la Loi. Mourut sans éprouver de remords »

« Conde ne voulait pas sourire mais il ne put s’empêcher de le faire. Une fois de plus, il constatait que l’histoire et la vie étaient un enchevêtrement de fils dont on ne savait jamais où ils se croisaient, ni même où se nouaient certaines fibres pour donner forme aux destins des individus et aux histoires des pays. »

« D’après lui, un pays sans putes, c’était comme un chien sans puces : tout ce qu’il y a de plus chiant au monde … »

« Elias Ambrosius voulait être peintre pour avoir précisément ce pouvoir. Celui de créer, plus beau et plus invincible que les pouvoirs avec lesquels certains hommes gouvernent et asservissent presque toujours d’autres hommes. »

Bonne lecture !

Hérétiques

Leonardo Padura

Métailié

2014

603 pages

Un portrait tout simple de Leonardo Padura

L'éditrice Anne-Marie Métailié nous présente "Hérétiques"

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K
Hérétiques était l'un des deux titres de la rentrée de septembre(oui, seulement 2, l'autre était Fonds perdus) que je voulais lire absolument. Quel auteur! Le Nobel? Why not?
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R
Je ne connais pas Fonds perdus ... Alors, tu as éveillé ma curiosité ! Bonne lecture !
F
Je n'avais pas aimé "L'homme qui aimait les chiens". La critique que tu fais de "Hérétiques" a su toutefois allumer mon intérêt. J'aime les histoires complexes. On verra. :-)
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R
J'espère que le roman saura répondre à cet intérêt créé ! Bonne lecture, France !
A
Il y a de tout dans ce roman. De quoi donner envie de le lire.
Répondre
R
Il y a de tout et pas juste en quantité ... en qualité également !