5 Septembre 2014
« Nous étions le sel de la mer » : Un moment magique !
« Nous étions le sel de la mer » : Un polar à saveur de poésie maritime !
Commencer la lecture d’un livre, puis après quelques pages se dire que l’on vient de faire une rencontre marquante !
Continuer sa lecture et confirmer ses impressions du début !
Changer son rythme de lecture pour se mettre à déguster chaque phrase, chaque paragraphe qui nous étonne, qui nous charme !
Anticiper la fin du roman, comme un deuil à vivre, mais en courant à sa librairie préférée pour acheter un autre roman de cette auteure qui vient de nous « jeter par terre » juste pour se sécuriser et se dire qu’au moins on aura un autre roman à lire !
Et maintenant, trouver les mots pour traduire les émotions vécues, les plaisirs de lecture, l’extraordinaire humanité des personnages, l’atmosphère incroyable de ce petit village gaspésien et surtout, parler du style de Roxanne Bouchard, vanter son écriture et vous dire combien j’ai aimé ce roman. Voilà le défi qui se pose à moi !
Alors, croyez-moi sur parole. Arrêtez de lire cette chronique et allez vous procurer ce roman. Quand vous l’aurez terminé, revenez lire la suite de ma chronique, que j’écris expressément pour les plus sceptiques de mes lecteurs !
Mais pour la grande majorité qui, comme moi, continuerait à lire la chronique en passant outre les « recommandations » du scribouilleur bloguesque du dimanche, voici donc ma chronique !
L’histoire est très prenante, dessinée à l’aquarelle des mots, remplie des odeurs salines de la mer et racontée avec les images des hommes et des femmes qui habitent en face de la grande bleue. Dans un restaurant-bar du village, une jeune touriste se cherche un endroit pour la nuit. Mais aussi et surtout, elle est à la recherche d’une femme qu’elle n’a jamais connue. Déçue de sa vie à la ville, à la recherche de son identité, Catherine Day pose plein de questions qui réveillent la suspicion toute naturelle et à fleur de peau des habitants du village.
À l’aube d’un matin de pêche, Vital Bujold trouve le corps d’une femme dans ses filets. Cette femme, il y a 30 ans, avait bouleversé la vie de ce village et conquis, par sa beauté et son indépendance, le cœur de beaucoup d’hommes. Tout en alimentant la rancœur de certains autres. Était-ce un accident, une faute de navigation ou même, un meurtre ? Quelle que soit l’explication, la découverte du corps de Marie Garant crée une vague et fait en sorte que la marée des souvenirs refait surface dans la mémoire des habitants. Mais il est de notoriété publique que « … la vérité se fait rare, surtout sur les quais de pêche. »
L’enquête est confiée à un tout nouveau policier qui arrive dans la région. Sa femme qui est sculpteure voulait plus d’espace de création ; la Gaspésie lui offrait des horizons infinis. Tourmenté, en questionnement par rapport à lui et à sa vie de couple, il se retrouve dans un environnement qui ne lui est pas familier mais qui semble être propice à la réflexion, à la remise en question.
Il n’a même pas le temps de commencer à défaire ses boîtes et à s’installer dans sa nouvelle maison en attendant sa femme, que sa chef lui demande de différer ses vacances et de s’occuper de cette enquête qui « devrait » être facile. Joaquim Morales, oui, oui, un Mexicain d’origine, se retrouve donc comme enquêteur dans une région du Québec qui sent le varech et où les pêcheurs réussissent à peine à survivre. Sans parler du silence de ces habitants, aussi trouble et opaque que la brume d’un matin de bord de mer.
Au cours de l’enquête, Moralès et la belle Catherine feront connaissance avec les principaux habitants du village. Le touchant Cyrille qui, en toute générosité, vient en aide à la jeune fille, le coloré aide-cuisinier, Renaud Boissonneau, l’énigmatique amérindien, le curé, ancien bedeau, le coroner Robichaud et les femmes si présentes dans la vie du village. Chacun y va de ses souvenirs, biaisés ou pas, de ses silences et de ses demi-vérités, chacun préserve l’intégrité du village. Et la mer ! Et les bateaux ! On entend presque le bruit des vagues qui roulent sur la plage ou qui se frappent sur les rochers.
"Nous étions le sel de la mer" est le roman du mensonge et de la vérité que l'on veut cacher. Parce que la vérité nous fait mal ou pire, parce que le mensonge cache des histoires que l'on voudrait bien oublier.
Mais ce qui m’a touché le plus, c’est la qualité du style de Roxanne Bouchard. Avec sa plume imagée, chaque personnage possède sa propre langue ou ses tics personnels de langage et chacun y va de sa poésie personnelle. Même les « Saint-ciboire de câlisse » de Vital Bujold empruntent des odeurs de la mer et deviennent des sonnets de cette poésie maritime. Alors, imaginez les phrases et les images que vous rencontrerez durant votre lecture … Et surtout, il faut savourer avec délectation les extraits du testament écrit de la main de Marie Garant ! Un bonheur d’écriture !
Voici quelques extraits qui, je l’espère, vous convaincront de partir à la découverte de cette belle région de la Gaspésie, des personnages sortis de l’imaginaire de Roxanne Bouchard, de cette histoire tout en nuances et en humanité et surtout, du style de cette auteure à découvrir.
« Je me penche par dessus bord. Dans le miroir brisé de l’eau, je suis un vitrail explosé, une mosaïque éclaboussée, une mémoire dysfonctionnelle au temps désajusté, un amas d’images en vrac qu’un orfèvre fou a agencé dans un ordre dyslexique. J’ouvre les mains et laisse glisser sur l’onde la bobine de mes souvenirs qui se déploie une dernière fois dans la vague. »
« Un nuage avale le croissant de lune, et il ne reste plus, dans la fenêtre redevenue miroir par l’obscurité, que le reflet fatigué de son propre visage. Joaquin Moralès se regarde. Cinquante-deux ans. Le poivre et le sel du temps ont strié ses cheveux d’étoiles filantes. Certains disent que ça lui donne un certain charme. Il crois son propre regard. Vieux et … ridicule.
Puis il baisse les yeux. »
« Le ciel s’ennuageait, promettant une pluie lasse. La mer frappait fort les cailloux de la grève qui brisaient leur bruit de verre à mes pieds. Les goélands cassaient les carcasses crispées des crabes sur les rochers. Grise et lourde, sans soleil ni enfant, la mer n’est-elle qu’un tombeau fermé et silencieux qui secoue les ossements du corail ? »
« Ça paraît que ton père était architecte ! Hiiii… Si y’avait été pêcheur, y t’aurait appris à mieux mentir ! »
« Y veulent toujours qu’on soit le sel de la terre ! … Pourquoi, nous autres, on serait pas le sel de la mer ? »
Et j’aurais pu en ajouter tant d’autres …
(Et en passant, permettez-moi de saluer les gens de la Baie des Chaleurs, plus particulièrement ceux de Carleton, de Caplan et de Maria, là où il y a 40 ans, j’ai fait mon dernier stage en vue de l’obtention de mon diplôme en enseignement.)
Bonne lecture !
** Line Allard, voici le roman que j’étais en train de lire, il y 3 semaines, quand nous nous sommes rencontrées chez Marie-Anne. Je t’avais dit que c’était magique, enivrant et tellement bien écrit ! J’espère que la chronique de Richard te convaincra de le lire ! Salutations ! France Lapierre.
Nous étions le sel de la mer
Roxanne Bouchard
VLB éditeur
2014
350 pages
Pour mes lecteurs européens, je mentionne que ce roman est disponible à la librairie du Québec à Paris.
Voir le lien, ci-dessous:
Roxanne Bouchard | VLB éditeur
Il y a une dizaine d'années, Roxanne Bouchard a décidé d'aller en mer. Elle a appris à faire de la voile, d'abord sur le Saint-Laurent, ensuite en Gaspésie. C'est là que des pêcheurs l'ont i...
La page de l'auteure sur le site de son éditeur
Roxanne Bouchard: le coeur est un bateau | Marie-Christine Blais | Entrevues
Le "nouveau" roman de Roxanne Bouchard était déjà écrit quand ont été publiés son hilarant Crématorium Circus (2012) et sa touchante correspondance de guerre En terrain miné (2013, avec le...
Un très bel article écrit par Marie-Christine Blais de La Presse
La première fois que je suis allée dans la Baie-des-Chaleurs, pour naviguer et commencer à écrire ce roman-là, j'ai rencontré un vieux pêcheur. Cyrille Bernard. C'était tout un bonhomme! À...
http://roxannebouchard.com/2014/05/21/allocution-du-lancement/comment-page-1/
Allocution de Roxanne Bouchard au lancement de "Nous étions le sel de la mer."