21 Novembre 2013
Je l’avoue, j’ai un petit faible pour les romans historiques !
Avant ma passion (incontrôlée ...) pour le polar, j’aimais me promener dans les grandes sagas familiales de Maurice Denuzière, Edward Rutherfurd et James Michener, traverser le temps en compagnie de personnages n’ayant pas existé pour comprendre une époque, elle, qui avait vraiment existé. Belle façon d’apprendre l’Histoire par le biais des histoires.
Jacques Côté me transporte dans cet univers, avec sa série de romans mettant en scène le docteur Georges Villeneuve dans "Les cahiers noirs de l’aliéniste". Il dépeint le monde de la médecine légale et celui des aliénistes de la fin du XIXe siècle. «Et à l’heure de votre mort» est le 3e tome de cette série passionnante. Même si chacun des romans peut être lu de façon autonome, suivre l’évolution de ce personnage devient un exercice agréable et instructif. Je retrouve dans cette série, le plaisir que j’ai eu en lisant les romans de Caleb Carr sur les débuts de l’utilisation des sciences dans les enquêtes policières à New-York.
Rappelons que le premier tome ( "Dans le quartier des agités" ) nous présentait ce jeune médecin montréalais, parti étudier ces disciplines presque inconnues, auprès des grands spécialistes français ; et tout cela, à l’ombre de la grande dame de fer parisienne qui pointait le bout de son nez au-dessus de Paris en fête !
Le deuxième tome ( "Le sang des prairies" ) nous ramenait quelques années en arrière lorsque le capitaine Villeneuve, était mandaté pour aller enquêter au Manitoba, sur le massacre du Lac-à-la-grenouille, là où il aura l’occasion de rencontrer Louis Riel.
Ce troisième tome marque vraiment les débuts de Georges Villeneuve comme aliéniste à l’hôpital Saint-Jean-de-Dieu. Le récit débute au moment où le docteur Villeneuve se bat pour obtenir une morgue plus moderne que celle dans laquelle il travaille. La morgue de Montréal est désuète et tout le monde s’entend pour dire qu’elle doit être modernisée. Tout le monde, sauf les politiciens qui détiennent le pouvoir de décider.
Un soir d’octobre 1894, l’équipe médico-légale découvre le corps d’une jeune femme dans un logement désaffecté de Pointe-Saint-Charles, un quartier pauvre de la ville de Montréal. La jeune fille est nue sous un chemisier blanc imbibé de sang, à la suite d’un avortement, plutôt une boucherie, perpétré par un bourreau qui l’a charcutée pour atteindre le foetus. L’équipe cherche le foetus qui semble avoir été emporté. La scène est horrible ! Et dans le lit, une image de la Vierge Marie, apportée par la jeune fille ou laissée par le bourreau ?
L’équipe se met donc en branle pour résoudre cette affaire ... qui prendra des allures politiques, grâce à certains journalistes qui prônent une répression vive. Les premiers chapitres nous présentent cette équipe formée de médecins légistes, de policiers et du coroner, qui contre vents et marées (politiques), combattront autant le charcuteur-avorteur que la vague politique qui demande immédiatement un coupable.
Le coroner Edmond MacMahon, Georges Villeneuve et l’autre légiste, le Dr Wyatt Galt Johnston, travaillent avec les policiers Bruno Lafontaine et Patrick MacCaskill à résoudre cette énigme.
Ce premier carnage est malheureusement suivi par un autre massacre. Et la liste s’allonge, ce qui ajoute de la pression politique et médiatique sur le docteur Villeneuve. Puis, un événement vient amplifier la situation: un samedi matin, un homme sème la terreur à l’hospice des Soeurs de la Miséricorde. Après avoir tué une femme enceinte et quelques autres personnes, il est arrêté, accusé, mais aussi transféré à l’hôpital St-Jean-de-Dieu pour évaluation psychologique. Le docteur Villeneuve, tout nouveau surintendant de l’hôpital, assurera cette évaluation qui créera certains remous dans la population. En lisant ces pages, on ne peut que faire certains rapprochements avec le désormais célèbre cas de Guy Turcotte au Québec ...!
Passionnant !
Même si l’enquête est relativement intéressante, le lecteur se verra confronté à certains jugements moraux tout en prenant conscience de l’état et du développement de la médecine médico-légale, de l’aspect scientifique du travail de l’enquête policière et des premiers pas de la psychiatrie pratiquée par les aliénistes de la fin du XIXe siècle. Toutes ces informations sont passionnantes et jamais, le lecteur aura l’impression de se faire donner un cours d’histoire. Jacques Côté réussit le difficile défi d’intégrer les nombreuses recherches qu’il a dû faire dans un roman qui est loin d’être didactique. Le lecteur, par la magie de la littérature, se promène dans un musée des pratiques d’enquête, sans jamais sentir l’effort qui a été fourni par l’auteur. Je le répète, la lecture de ce troisième tome des Cahiers noirs de l’aliéniste est un véritable C.S.I. historique ... qui en plus, se passe chez nous !
En plus de cette enquête, le lecteur un peu «fleur bleue» se régalera de la tendre histoire d’amour qui se développe entre Georges et sa bien-aimée Emma Royal. Cette histoire d’amour, toute en nuances et en lenteur, plonge le lecteur dans les milieux culturels de Montréal et nous permet même, une petite visite touristique dans le très chic Parc Sohmer, disparu depuis très longtemps.
Amateurs de romans policiers et amateurs de romans historiques, vous serez ravis à la lecture des aventures de ce héros montréalais, précurseur de tous les policiers contemporains qui profitent des connaissances scientifiques et technologiques modernes: analyse des taches de sang, empreintes digitales, profilage, utilisation de luminol ou de toute autre technique. En lisant ce roman, je pensais aux avantages de l’utilisation du téléphone cellulaire comme instrument de communication entre les policiers, avantage dont ne disposait pas Villeneuve.
Amateurs de personnages forts, crédibles et complexes, découvrez ce médecin qui, par sa volonté, ses croyances et sa persévérance, essaie de faire cheminer vers le monde moderne, un milieu qui s’attache à ses méthodes du passé. En même temps, vous découvrirez un personnage fascinant, prêt à tout pour ses malades et doté d’une dose extraordinaire d’humanisme et de compréhension. Georges Villeneuve est un amalgame équilibré de sciences, d’empathie, de compassion ... imbriqué dans des convictions solides et humaines. Un personnage fascinant !
Un dernier mot, pour conclure . Je tiens à souligner le travail titanesque de Jacques Côté pour réunir la somme importante de données scientifiques, géographiques et historiques contenues dans ce roman.
J’imagine très bien le nombre effarant de journées qu’il a dû passer à faire de la recherche afin de rendre crédible chaque étape de l’enquête et restituer fidèlement les lieux, en cohérence avec l’époque. Écrire un roman historique réussi, c’est faire preuve d’une grande minutie dans la collecte de l’information et surtout, faire preuve d’une grande générosité de l’offrir ainsi au lecteur, enrobé dans l’art de la fiction romanesque.
Alors, en attendant la quatrième aventure du docteur Villeneuve et aussi, la véritable biographie prévue après la conclusion des romans, je vous laisse avec ces quelques extraits qui je l’espère, vous convaincront ... de devenir un lecteur des «Cahiers noirs de l’aliéniste».
«La preuve était solide et largement acceptée par les magistrats dans les cours de justice. Mais il semblait que les policiers de Montréal ne voulaient pas faire partie de ce monde civilisé en continuant, malgré nos avertissements répétés, de contaminer les scènes.»
Tiens, tiens !! Une affirmation contestable ? «Ai-je besoin de répéter que la vie de médecin-autopsiste n’a rien à voir avec celle du héros de roman policier»
«L’aliéniste côtoie l’anormal, que ce soit à l’asile ou à l’extérieur.»
Et une petite dernière que j’adore: «Les sensations sont au journaliste ce que l’allumette est au papier: l’un a besoin de l’autre pour s’enflammer.»
Bonne lecture !
Et à l’heure de notre mort
Les Cahiers noirs de l’aliéniste (3e tome)
Jacques Côté
Alire
2013
514 pages
Jacques Côté enseigne la littérature au cégep de Sainte-Foy. En 2000 paraissait Nébulosité croissante en fin de journée, un premier roman policier mettant en scène Daniel Duval, un enquête...
La page de l'auteur chez Alire.
Roman policier - Jacques Côté, l'autopsie du meurtre
Jacques Côté s'est tellement intéressé à la médecine légale qu'il a publié au début des années 2000 la biographie d'un éminent médecin légiste d'ici, Wilfrid Derome. Depuis, le travail...
http://www.ledevoir.com/culture/livres/190053/roman-policier-jacques-cote-l-autopsie-du-meurtre
Un article intéressant sur Jacques Côté dans le journal Le Devoir quand "Les cahiers noirs de l'aliéniste" était encore un projet.
Né à Montréal le 8 février 1866, Georges Villeneuve étudie au Collège St-Sulpice où il obtient, en 1889, son doctorat en médecine de l'Université Laval à Montréal. Il complète ses étud...
http://www.iusmm.ca/hopital/chroniques-historiques/dr-georges-villeneuve.html
Quelques mots sur Georges Villeneuve