22 Septembre 2010
J’adore être surpris par un roman, par un auteur. Prendre un livre et déjà, en lisant le titre, me sentir interpellé dans mon intelligence de lecteur par un auteur qui n’a pas peur de sortir des sentiers battus, qui nous offre de l’inédit, du créatif et de l’ingénieux.
Lire «Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants», c’est s’immerger dans l’imaginaire de Mathias Enard qui nous convie à un voyage
dans la Turquie du XVIe siècle et dans le processus créateur de Michel-Ange.
Inutile de dire que j’ai adoré ce livre hors-norme et que j’ai été fasciné par la rencontre d’un événement historique méconnu et l’imaginaire d’un romancier en
pleine ébullition.
L’histoire en elle-même, le fait historique n’est pas banal. Après être devenu le héros de la ville de Florence avec la création de son David, Michelangelo
Buonarroti (Michel-Ange) reçoit une missive du Grand Turc, le Sultan de Constantinople qui l’invite à réaliser le pont qui reliera l’Orient à l’Occident, au dessus du Bosphore, le fleuve
légendaire. Piqué au vif par l’ingratitude du Pape Jules II qui refuse de le payer pour l’exécution du tombeau papal et stimulé par l’échec de Léonard de Vinci qui n’a pas réussi à produire un
plan du pont qui aurait séduit le sultan Bajazet, Michel-Ange quitte alors Florence pour se rendre à Constantinople.
Le roman nous raconte le séjour du grand artiste dans cette ville magique où il vivra des plaisirs artistiques extraordinaires mais aussi des heures tourmentées de
sentiments confus et d’amours impossibles. Obnubilé par la beauté saisissante d’une danseuse androgyne, tenaillé par l’amour non-avoué du poète Mesihi de Pristina qui lui sert de guide et
ébloui par les beautés de Constantinople, Michel-Ange aura beaucoup de difficultés à répondre à cette commande. Et comme lecteur, cette valse-hésitation entre les plaisirs et le travail à
réaliser, nous permettra de découvrir les manifestations de son processus créateur.
Le récit est passionnant, la découverte est troublante. Et en plus, la qualité d’écriture de Mathias Enard nous transporte dans un monde plein de richesses et de
poésie, un monde où l’Art prend sa place et où l’artiste est reconnu.
L’auteur ayant fait le choix de nous présenter de courts chapitres dépassant rarement les cinq pages et malgré l’intensité dramatique de l’histoire, le rythme de
lecture est rapide et agréable. L’intérêt est soutenu, le lecteur apprend de multiples facettes de cet artiste, des détails qui humanisent cette icône de la peinture et de la sculpture. Un
exemple, on apprend qu’il dormait toujours assis, «le dos contre un coussin, parce qu’il a peur de l’image de la mort que confère la position allongée.»
Certains chapitres sont imprégnés d’une grande beauté littéraire, plus particulièrement les monologues de la danseuse, couchée près d’un Michel-Ange qui se refuse à
tout contact sensuel et sexuel. «Tu penses désirer ma beauté, la douceur de ma peau, l’éclat de mon sourire, la finesse de mes articulations, le carmin de mes lèvres, mais en réalité, ce
que tu souhaites sans le savoir, c’est la disparition de tes peurs, la guérison, l’union, le retour, l’oubli. Cette puissance en toi te dévore dans la solitude.»
J’ai pris un plaisir énorme à lire ce livre. L’auteur réussit à créer une atmosphère, à recréer une infime partie de la vie de ce grand artiste pour nous faire
découvrir une époque, une ville, un moment de sa vie, à travers la création d’une oeuvre qui ne verra jamais le jour.
Enfin, après ma lecture, il ne me restait qu’une petite réserve ... (en fait, est-ce que ça pourrait être une qualité de ce roman ?). J’ai trouvé le roman trop
court ...
J’en aurais pris d’autres, de ces pages passionnantes, de ces amours et de ces visites dans les rues de la future Istanbul, de ce cours littéraire sur une époque
charnière de l’histoire de l’art.
Et alors, une réflexion m’est venue:
Qui, un jour, nous racontera la «petite histoire» de ce grand chef d’oeuvre de la Chapelle Sixtine ??? Avec le talent et le style de Mathias Enard, il me semble que
ce serait une suite logique !
Bonne lecture !
Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants
Mathias Enard
Actes Sud/Leméac
2010
154 pages