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Polar, noir et blanc

Un blogue qui parle de livres, de bons livres, dans tous les genres, juste pour le plaisir de lire et d'en parler.

Ta mort à moi (deuxième chronique)

« Nous avons tous nos zones d’ombre; pour certains, ce sont des champs de ténèbres. »

 

Une chronique de France Lapierre

 

David Goudreault nous fait pérégriner dans le monde de Marie-Maude Prenesh-Lopez avec, en toile de fond, la laideur, tant physique que morale.

 

« Qu’est-ce qui se cache derrière la beauté, sinon un peu de viande sur un crâne? » p. 162

La première surprise lorsqu’on aborde la lecture de Ta mort à moi, c’est la mise en garde à la première page : Document de travail. Version 7 (corrigée) Ne pas publier.

Malaise. L’éditeur nous aurait-il envoyé une copie préliminaire?

Et puis, mis en garde par cette première incongruité, l’esprit se méfie, avec raison : le « premier » chapitre est suivi du troisième!

 

Un survol permet de se rendre compte que les chapitres sont dans le désordre! À nous deux, David Goudreault! Non seulement tu tritures la langue française, pour notre plus grand plaisir, mais tu te permets une déconstruction romanesque!

 

La courtepointe cousue par l’auteur s’élabore autour du journal intime de Marie-Maude Pranesh-Lopez, de la narration d’un biographe anonyme (le lecteur comprendra lors du prologue qui est ce narrateur) et des réflexions du créateur de la saga familiale sur des sujets aussi divers que la littérature, la politique et la mythologie.

 

La famille de Pranesh-Lopez se compose en premier lieu, de la géniale écrivaine, Marie-Maude Pranesh-Lopez, un Gaston Miron réincarné.  Elle est laide, elle a des traits grossiers et lorsqu’elle émet un son, elle glapit. Pour se faire une idée de la laideur, Goudreault suggère d’aller voir les représentations de la famille des Habsbourg. À mon avis, le plus laid est Charles II d’Espagne!

 

Lorsque sa mère, Dolorès, la « console » en lui disant qu’elle est spéciale, Marie-Maude écrit dans son journal intime que « les vaches à deux têtes aussi sont spéciales »! Dur! De plus, le pédopsychiatre consulté lui confirme qu’elle n’est pas exceptionnelle, à peine géniale: Marie-Maude dessine à 3 ½ ans un bonhomme de neige noir, carré. Reconnaître le génie n’est pas donné à tout le monde.  Abhijat Prenesh, le père, est un homme « plutôt contemplatif lesté d’une profonde passivité. » Dolorès Lopez, la mère de Marie-Maude affiche une obsession pour la langue française et impose des dictées surprises à sa fille. Elle se consacre à faire rayonner la littérature française.  Enfin, le jeune frère, Victor-Hugo, disparait tôt de l’histoire.

 

David Goudreault démontre encore une fois, une fascination pour les destins inouïs. Il est particulièrement préoccupé par la détresse humaine :

 

« Combien d’enfants se sont pendus au bout des liens d’attachement qu’ils n’ont jamais eus? » p.30

 

Ses « réflexions préparatoires » qui jalonnent le récit m’ont particulièrement interpellée et fait réfléchir sur le travail de l’écrivain. Peut-on séparer l’œuvre de l’artiste?

 

« Les personnes exceptionnelles ne le sont pas dans toutes les sphères de leur vie. (Dostoïevski, Mme de Scudéry, Verlaine) Le droit des laids, des mesquins, des fourbes, des pervers et des lâches à être représentés en art est trop souvent négligé. »

Le refoulement des sentiments est la première qualité d’un écrivain. La perle ne se confectionne qu’avec le temps et la claustration; l’intrusion d’un débris, d’un déchet ou d’une émotion déclenche les mécanismes de la création. Couche après couche, chapitre après chapitre, la menace sera avalée, dissimulée sous la nacre. »

 

La biographie de Marie-Maude Pranesh-Lopez nous mène de sa vie familiale en Beauce jusqu’à une collaboration avec un criminel coréen, son emprisonnement et son exfiltration par la GRC.

 

Ta mort à moi, c’est un roman, un recueil de pensées philosophiques, un essai littéraire, une critique sociale. Il faudra le lire, le relire…

 

On brandissait des carrés rouges et on rêvait en couleur. (…) Des souvenirs, c’est à peu près tout ce que donnèrent ces semaines de mobilisation citoyenne. Pas de quoi remplir un fond de canisse de changement social avec la sève claire du fameux printemps érable. Au Québec, même les révolutions sont dociles, très tranquilles. »

 

 

Quoi ajouter, après cette réflexion?

 

 

David Goudreault

Ta mort à moi

ou Les édifiantes pérégrinations de Marie-Maude Prenesh-Lopez

Montréal,

Stanké,

2019.

338p.

 

 

 

Juste une minute de David Goudreault ... et vous en voudrez plus !!! Romans, poésie, spectacles, slam ou chroniques, David Goudreault est toujours égal à lui-même: génial !

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